Derrière chaque structure libérale, il y a une personne, un visage, une énergie qui impulse et pérennise l’activité. Mais nul n’est à l’abri des aléas de la vie. Lorsqu’un professionnel libéral est confronté à une maladie longue durée ou décède, l’organisation de la société peut vaciller, voire s’effondrer. Connaitre les principales conséquences de tels évènements pour les anticiper devient alors une question de survie pour l’entreprise, les collaborateurs et les salariés qui en dépendent.
Me Valérie BOUCHEZ et Me Marie LALANNE, avocates associées au sein du Cabinet LIBRATO AVOCATS, font le point sur ce sujet essentiel mais bien souvent délaissé au moment du démarrage de l’activité.
I. Maladie longue durée ou décès de l’associé : quels sont les risques majeurs ?
La maladie longue durée du professionnel libéral ou son décès entraîne des conséquences juridiques, financières et organisationnelles pour l’entreprise libérale.
A. Conséquences juridiques.
Les conséquences juridiques peuvent être distinctes selon l’évènement et les modalités d’exercice de l’activité libérale.
Entrepreneur individuel. En cas de maladie longue durée ou de décès, l’activité de l’entrepreneur libéral exerçant à titre individuel cesse sauf si un remplaçant ou suppléant est désigné (par l’entrepreneur, son ordre ou le Tribunal judiciaire). Son rôle sera d’assurer la continuité minimale de l’activité et le suivi des clients/patients.
Rappelons que le décès entraîne la réunion du patrimoine personnel et professionnel (art. L526-22 C. com.), exposant l’ensemble aux créanciers, avec des risques accrus si l’entrepreneur est marié sous le régime de la communauté légale et qu’il a accumulé des dettes importantes dans le cadre de son activité professionnelle (article L526-22 et suivants du code de Commerce issus de la loi du 14 février 2022).
Exercice en société. L’empêchement d’un associé pour maladie longue durée peut être organisé en interne, entre associés, afin que ces derniers reprennent le suivi des clients ou patients de l’associé malade. Naturellement, si l’associé exerçait seul, sans autres associés, alors les mêmes conséquences en termes de suppléance ou de remplacement que pour l’entrepreneur individuel s’imposeront, le temps de sa reprise d’activité.
Si l’associé empêché possède un mandat social, la situation sera différente selon qu’il existe d’autres associés dans la société ou non et si ces derniers possèdent déjà, ou non, un mandat social.
Dans l’hypothèse de plusieurs représentants légaux, alors la société pourra continuer à être gérée par les autres mandataires sociaux.
Mais qu’en est-il si l’associé malade est le seul représentant légal ?
Dans cette hypothèse, il conviendra que les statuts organisent les modalités de désignation d’un nouveau gérant parmi les autres associés.
Si l’article 1846 du code civil dispose que « si, pour quelque cause que ce soit, la société se trouve dépourvue de gérant, tout associé peut réunir les associés ou, à défaut, demander au président du tribunal statuant sur requête la désignation d’un mandataire chargé de le faire, à seule fin de nommer un ou plusieurs gérants », il convient de rappeler que les dispositions spéciales propres à chaque profession réglementée organisent, à défaut de stipulations statutaires, les modalités de désignation du mandataire social suppléant.
Quid de la dissolution de la société ? Sauf dispositions contraires du décret particulier à chaque profession ou, à défaut, des statuts, la société possédant plusieurs associés n’est pas dissoute par le décès d’un associé.
Toutefois, en cas de décès de l’associé unique, la société peut être dissoute, sauf agrément de successeurs, exerçant la même activité que l’associé décédé, à charge pour eux d’acquérir les titres entre les mains des ayants droits.
La cession des titres. Il convient de rappeler que l’ordonnance du 8 février 2023 et les décrets d’application à chaque profession, dont certains datent du 14 août 2024, organisent les droits et obligations des ayants droits de l’associé décédé, titulaire de titre de société.
A titre d’exemple, l’article 27 de l’ordonnance du 8 février 2023 dispose, au sujet des sociétés civiles professionnelles, qu’« en cas de décès, les ayants droit de l’associé décédé n’acquièrent pas la qualité d’associé. Toutefois, ils ont la faculté » dans le délai d’un an fixé par le décret « de céder les parts sociales de l’associé décédé, sous réserve de l’agrément des associés restants ». Les ayants droits peuvent également, s’ils exercent régulièrement la profession correspondant à l’objet social de la société, demander à être agréé en qualité d’associés.
L’article 47 de ladite ordonnance prévoit quant à lui que les ayants droits d’un associé de SCP peuvent détenir les titres de la société pendant un délai de cinq ans suivant le décès de l’associé décédé, à l’expiration duquel ces derniers sont tenus de céder les titres, sauf à avoir été agréés en qualité d’associés exerçants s’ils exercent la profession constituant l’objet social de la société.
B. Conséquences financières.
La maladie longue durée ou le décès d’un associé peut entraîner les conséquences financières suivantes :
• En cas de maladie longue durée de l’entrepreneur exerçant à titre individuel, ce dernier subit directement les pertes de chiffre d’affaires et de résultat lié à la suspension de son activité professionnelle. Il est dès lors indispensable pour lui d’envisager la souscription de complémentaire santé aux fins de maintenir ses revenus pendant son arrêt maladie (cf. II -b.1).
• L’associé unique d’une société peut subir les mêmes conséquences que l’entrepreneur individuel. Il convient toutefois de noter qu’en cas de société soumise à l’IS, la constitution de réserves antérieures à l’arrêt maladie peut lui assurer le maintien de revenus par la distribution de dividendes.
• En cas de pluralité d’associé, le maintien de la rémunération de l’associé empêché dépend du pacte social. Il n’existe aucune obligation légale ni réglementaire pour les associés restants de maintenir la rémunération de l’associé empêché. Il apparait donc indispensable de bien encadrer les relations entre associés dans les statuts, un règlement intérieur ou pacte d’associé, s’agissant notamment de la solidarité qu’ils entendent observer entre eux (cf. article II-a).
Quelle que soit la situation, la souscription de contrats de prévoyance est importante (cf. II b.1).
• En cas de décès de l’entrepreneur individuel, les conséquences fiscales de la cessation d’activité s’appliquent. L’article 202 du Code général des impôts dispose que « l’impôt sur le revenu dû en raison des bénéfices provenant de l’exercice de cette profession y compris ceux qui proviennent de créances acquises et non encore recouvrées et qui n’ont pas encore été imposés est immédiatement établi. Il est calculé au dernier taux retenu pour le calcul de l’acompte mentionné au 2° du 2 de l’article 204 A.
Les contribuables doivent, dans un délai de soixante jours déterminé comme il est indiqué ci-après, aviser l’administration de la cessation et lui faire connaître la date à laquelle elle a été ou sera effective, ainsi que, s’il y a lieu, les nom, prénoms et adresse du successeur ».
• En cas de décès d’un associé de société, aucune conséquence fiscale n’est à supporter au niveau de la société en raison du décès d’un associé. En revanche, en cas d’associé unique, les conséquences fiscales dépendent du sort qui est réservé à sa société. Si la société est reprise et peut poursuivre son activité, aucune conséquence fiscale inhérente à la cessation d’activité ne sera supportée par la société elle-même. En revanche, en cas de dissolution, les ayants droits pourraient avoir à supporter certaines conséquences fiscales mais cela dépend de la forme sociale de la société et de l’existence ou non d’un boni de liquidation.
• Il convient de souligner les règles particulières dans les sociétés soumises à l’IR, notamment les sociétés civiles professionnelles, dans lesquelles le résultat est souvent réparti entre les associés à proportion de leur détention au capital social. En cas de décès de l’un d’eux, les ayants-droits disposent du droit de recevoir la contrevaleur des parts sociales. Mais, en l’attente, ils possèdent également le droit, selon une Jurisprudence constante, de percevoir la quote-part de droit à résultat à proportion de la détention de capital considérée (1). La jurisprudence a admis que les associés avaient « la liberté de conclure des conventions dérogeant à cette règle pour déterminer leurs relations financières lors du retrait de l’un d’entre eux (2)», mais encore faut-il que l’associé retrayant y ait donc adhéré avant son retrait, ce qui vaut pour l’associé décédé.
(1) Cass. 16 avril 2015, n°13-24.931
(2) Cass. 8 janvier 2020, n°17-13.863
II. Sécuriser l’avenir : stratégies d’anticipation
Anticiper ces situations c’est protéger l’avenir et la pérennité de la structure libérale. Outre l’importance de la communication interne sur ces différents sujets, il est possible de l’organiser juridiquement mais aussi « assurantiellement ».
A. Dispositions juridiques et organisationnelles
Aucune règle impérative n’impose aux associés d’une société, de prévoir et d’organiser les conséquences juridiques et financières en cas de maladie ou de décès du professionnel libéral. Cependant, au vu des conséquences sus-évoquées, anticiper ces situations permet de sécuriser l’avenir.
Anticiper, c’est avant tout en parler ensemble et s’assurer que chacun partage un avis commun, pour pouvoir par la suite prétendre à une nouvelle organisation juridique et financière.
Les statuts peuvent contenir des clauses spécifiques telles que :
• La clause de continuité de la société en cas de décès d’un associé, évitant une dissolution automatique.
• Les clauses d’agrément dans le cadre du rachat des titres de l’associé défunt ou l’obligation de rachat des titres par la société de l’associé défunt. Ces clauses doivent être rédigées avec beaucoup d’attention afin de ne pas créer de situation de blocage. Les clauses d’agrément peuvent notamment prévoir l’impossibilité pour les ayants droits (qui ne disposeraient pas des compétences professionnelles requises) de demander à devenir associés de la société. Dans ce cas, ils seront seulement désintéressés financièrement à hauteur de la valeur retenue des titres de l’associé défunt. Les clauses d’agrément peuvent également être complétées dans le pacte d’associés afin que les tiers n’aient pas connaissance des règles relatives au sort des titres de l’associé défunt.
• La valorisation des titres afin d’anticiper des situations de conflits au moment de l’évaluation des titres de la société. La valorisation peut également figurer uniquement dans un pacte d’associés pour des raisons de confidentialité.
Les actes extra-statutaires tels que le pacte d’associé, le règlement intérieur ou la convention de rémunération sont à rédiger avec vigilance afin d’anticiper les cas de défaillance d’un associé libéral.
Ainsi, il est possible de prévoir :
• Un droit de rachat prioritaire par les associés restants des titres de l’associé défunt ou l’associé malade qui ne peut plus exercer.
Sur ce point, des discussions ont souvent lieu au moment de la rédaction du pacte d’associés ou du règlement intérieur. A partir de quel moment considère-t-on qu’un associé malade ne peut plus exercer sa profession de façon durable et doit par conséquent céder ses titres ? De vrais sujets qui sont souvent source de discussions importantes entre associés.
• La valorisation des titres comme détaillé supra,
• Un cadre opérationnel clair en cas de décès ou de maladie du professionnel libéral. Ainsi, peuvent être prévues les modalités de son remplacement en cas d’incapacité prolongée.
La convention de rémunération permet de sécuriser les revenus du professionnel libéral défaillant. Ainsi, il est possible de prévoir :
• Un maintien de sa rémunération selon une durée et un montant prédéfinis,
• Les revenus des associés qui restent actifs en cas de défaillance de l’un des associés.
Dans ces trois documents contractuels que sont le pacte d’associés, le règlement intérieur ou encore la convention de rémunération, il est important d’y inclure le dispositif assurantiel. Encore faut-il l’avoir mis en place …
b. Sécurisation financière et assurantielle
Souscrire un contrat d’assurance représente une solution pérenne afin de protéger l’entreprise financièrement en cas de maladie ou de décès d’un dirigeant ou d’un associé d’une structure libérale.
Afin de limiter l’impact lié à la disparition ou à l’indisponibilité d’un professionnel libéral, de nombreuses offres d’assurance facultatives ont émergé permettant de faire face aux risques d’arrêts maladie ou encore aux risques de décès.
Voici quelques assurances facultatives mais essentielles :
1. L’assurance prévoyance en cas de maladie, d’accident, d’hospitalisation ou d’invalidité
En cas de maladie, d’accident ou d’hospitalisation, un professionnel libéral peut se retrouver sans revenus, car les indemnités journalières de son régime obligatoire sont souvent insuffisantes, selon la profession et le régime d’affiliation. Une assurance prévoyance permet de compenser cette perte en versant une indemnité journalière afin de couvrir les charges personnelles et professionnelles.
De même, si une invalidité partielle ou totale empêche la poursuite de l’activité, l’assurance prévoyance verse une rente qui permet de maintenir un niveau de vie décent et d’amortir l’impact financier de l’incapacité d’exercer.
2. L’assurance homme clé
L’assurance homme clé chez le professionnel libéral est un contrat de prévoyance souscrit par la société libérale pour protéger l’entreprise contre les conséquences financières liées à l’absence ou la perte du professionnel libéral considéré comme essentiel à l’activité. Cette assurance vise à garantir la pérennité du cabinet en cas de décès, d’incapacité de travail temporaire, d’invalidité ou de perte totale et irréversible d’autonomie du professionnel clé.
3. L’assurance frais généraux
En cas d’arrêt de travail prolongé, un professionnel libéral doit continuer à assumer ses charges fixes : loyer du cabinet/étude/officine, remboursement de prêt professionnel, salaires, etc. Une bonne prévoyance peut inclure une garantie couvrant ces divers frais.
4. L’assurance croisée
L’assurance croisée entre associés libéraux est un dispositif incontournable permettant de préserver l’harmonie et le contrôle de leur structure en cas de décès d’un associé. Elle fonctionne en versant un capital aux associés survivants pour racheter les parts du défunt, évitant ainsi l’arrivée d’un nouvel associé imposé par les ayants droits ou en versant un capital directement à la société libérale désignée bénéficiaire, permettant ainsi de désintéresser les ayants droits par voie de réduction de capital.
La désignation des bénéficiaires doit être faite avec précision pour garantir l’efficacité du dispositif.
Pour conclure : Anticiper, c’est sécuriser votre avenir !
L’arrêt maladie ou le décès d’un professionnel libéral ne sont pas des sujets plaisants, mais ils doivent être anticipés pour éviter des difficultés majeures. Entre stipulations statutaires, pactes d’associés, règlements intérieurs et solutions assurantielles, de nombreuses options existent afin de sécuriser l’avenir de la société, de ses associés et de ses salariés. Ne laissez pas le hasard décider pour vous !
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Nous pouvons mettre en place les solutions adaptées à votre situation.