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Librato avocat

L’ordonnance n°2023-77 du 8 février 2023 relative à l’exercice en société des professions libérales réglementées a été publiée le 9 février 2023 au Journal Officiel. Elle concerne les professionnels libéraux exerçant une activité réglementée médicale. Si cette ordonnance entre en vigueur à compter du 1er septembre 2024, elle interroge sur le fait de savoir s’il faut choisir le statut d’entrepreneur individuel ou exercer en société ?

I. Une sécurité juridique renforcée ou pas

La séparation des patrimoines personnels et professionnels.

La loi du 14 février 2022 (1) modifie et renforce la sécurité juridique des professionnels libéraux exerçant leur activité de manière indépendante en créant une séparation des patrimoines professionnel et personnel.

Avant l’entrée en vigueur de la loi du 14 février 2022, toutes les dettes contractées par le professionnel libéral exerçant une activité médicale à titre indépendant pouvaient faire l’objet d’un recouvrement forcé de la part des créanciers tant sur le patrimoine professionnel (matériel médical, trésorerie disponible en banque…) que sur le patrimoine personnel (biens immobiliers, biens mobiliers, épargne…) du professionnel concerné.

Le code de commerce donne désormais une définition de l’entrepreneur individuel en disposant que « l’entrepreneur individuel est une personne physique qui exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes » (2) et dont le patrimoine professionnel est composé des « biens, droits, obligations et sûretés dont il est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes » (3).

L’ensemble des éléments non compris dans le patrimoine professionnel médical, quelle que soit sa spécialité, est réputé appartenir à son patrimoine personnel. Il existe désormais, depuis la date d’entrée en vigueur de la loi le 15 mai 2022, une véritable séparation des patrimoines professionnel et personnel des professionnels libéraux exerçant de manière indépendante qui vaut pour toutes les créances professionnelles nées postérieurement au 15 mai 2022. Cette séparation des patrimoines permet d’éviter que les créanciers professionnels puissent recouvrer leur créance sur le patrimoine personnel du débiteur..

Egalement, les charges sociales professionnelles de l’exerçant à titre individuel constituent désormais des dettes nées à l’occasion de l’exercice professionnel (4) alors qu’elles étaient considérées comme étant personnelles antérieurement.

Conséquences ? Les organismes sociaux, auxquels sont affiliés les médecins et professionnels médicaux, ne peuvent, en cas d’absence de paiement des cotisations, recouvrer leur créance sur le patrimoine personnel du professionnel libéral (sous réserve infra).

L’ensemble du patrimoine personnel médical est également désormais insaisissable de plein droit (5).

(1) Loi n°2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante.

(2) Article L526-22, alinéa 1 C.com

(3) Article L526-22, alinéa 2 C.com

(4) Article L526-22, alinéa 4 C.com

(5) La loi MACRON du 6 août 2015 prévoyait une insaisissabilité de plein droit que de la résidence principale

Absence d’hermétisme et tempéraments légaux.

La séparation des patrimoines professionnel et personnel instaurée par la loi du 14 février 2022 n’est pas hermétique. La loi prévoit expressément des tempéraments :

  • L’administration fiscale et les organismes sociaux possèdent un droit de gage leur permettant de recouvrer leur créance sur le patrimoine personnel du professionnel libéral exerçant à titre individuel en cas de manœuvres frauduleuses ou d’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales ou dans le recouvrement des cotisations et contributions sociales (6).

 

  • Si le patrimoine personnel du professionnel médical est insuffisant pour permettre aux créanciers personnels de recouvrer leur créance, alors ces derniers possèdent un droit de gage sur son patrimoine professionnel. Les créanciers personnels peuvent procéder à des saisies et exécutions forcées en paiement sur le patrimoine professionnel « dans la limite du montant du bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos » (7). Le professionnel libéral risque de perdre l’équivalent de sa rémunération annuelle au titre de l’exercice précédent.

L’exercice à titre individuel d’une activité libérale médicale n’offre donc pas une sécurité juridique complète.

II. La constitution d’une société ou la parfaite séparation des patrimoines

Le passage en société.

La constitution d’une société apparait comme une solution pérenne aux obstacles décrits ci-dessus et offre aux professionnels une parfaite séparation entre leur patrimoine personnel et le patrimoine professionnel développé au sein de la société.

Toutes les sociétés ne permettent toutefois pas d’obtenir une telle protection du patrimoine personnel du professionnel libéral, puisque seules les sociétés de capitaux permettent de limiter la responsabilité des associés aux dettes de la société.

Si la société civile professionnelle peut disposer de son propre patrimoine, la responsabilité des associés aux dettes contractées par la société est indéfinie et conjointe.

Société de capitaux.

Depuis la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 (8), les professionnels libéraux peuvent constituer une société d’une société commerciale « classique » (SARL, SAS ou société en commandite par actions) ou une SEL (SELARL, SELAS, SELAFA ou SELCA).

Plusieurs lois (9) et des décrets pris en Conseil d’Etat, propres à chaque profession, sont ensuite venues compléter les dispositions de la loi de 1990 suscitée.

L’ordonnance n°2023-77 du 8 février 2023vient fusionner les sociétés d’exercice libéral et les sociétés de droit commun dont l’objet est d’exercer une profession libérale (10), de telle sorte que ne persisteront que les sociétés d’exercice libéral. Les professionnels exerçant une activité médicale en société.

(6) Article L526-24 C. com

(7) Article L526-22, alinéa 6 C.com

(8) Loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990

(9) Loi n°2011-1168 du 11 décembre 2001 permettant aux professionnels libéraux de créer des sociétés holdings (SPFPL), loi n°2008-776 du 4 août 2008 vient accroître la part de capital pouvant être détenue par des associés externes, loi n°2011-331 du 28 mars 2011 ayant ouvert la voie à l’interprofessionnalité capitalistique.

(10) Le gouvernement a été habilité à réformer les lois qui régissent les sociétés d’exercice des professionnels libéraux

disposeront d’un délai d’un an, à compter du 1er septembre 2024, pour se mettre en conformité avec les dispositions de l’ordonnance.

Responsabilité des associés.

Du fait de la constitution d’une société de capitaux, le médecin n’exerce plus en son nom personnel mais par l’intermédiaire de sa structure. Il en résulte que sa responsabilité sera limitée à ses apports en capital social.

Il ne peut pas être poursuivi sur son patrimoine personnel pour des dettes contractées par la société, sauf si ce dernier est caution à titre personnel d’un engagement pris par la société.

Il n’est tenu, pour le remboursement des dettes sociales, que du montant de ses apports en numéraire ou en nature.

L’exception à ce principe concerne les sociétés en commandite par actions dans laquelle les associés voient leur responsabilité illimitée et solidaire, raison pour laquelle il est préférable pour le professionnel libéral de constituer une SARL ou SAS.

Ces principes ne seront pas modifiés avec l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 8 février 2023.

Concernant la responsabilité civile professionnelle d’un associé, quelle que soit la structure choisie, la responsabilité civile professionnelle est illimitée et solidaire (11). Chaque professionnel exerçant est donc tenu sur son patrimoine personnel des actes professionnels qu’il accomplit mais également que ses collaborateurs ou salariés accomplissent (12).

Il convient toutefois de relativiser les conséquences de cette responsabilité puisque les professionnels médicaux sont tenus de souscrire à une assurance de responsabilité civile professionnelle (13) permettant l’indemnisation des patients, seule une franchise restant à la charge du professionnel.

De plus, la société est solidairement responsable avec le médecin des conséquences de la faute professionnelle de telle sorte que le patrimoine personnel du professionnel est, dans la quasi-intégralité des cas, hors de cause.

Un exercice à plusieurs.

Si les professionnels libéraux ont souvent tendance à partager les moyens de leur activité, en créant par exemple une société civile de moyens (SCM), la constitution d’une telle structure ne leur permet pas d’exercer leur activité professionnelle au sein d’une structure commune et de constituer un patrimoine professionnel commun. Ce patrimoine sera réputé appartenir à la société et chacun des associés aura un droit sur ce dernier à proportion de sa participation dans la société.

Par exemple, concernant les médecins, si le médecin associé d’une SEL doit exercer son activité exclusivement au sein de cette dernière (14), il a toutefois la possibilité de détenir des parts sociales dans plusieurs sociétés (15). Le capital social de la société peut également être détenu par des professionnels de santé ou, dans la limite d’un quart, par des tiers (16).

(11) Article 16 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 ; Article 16 de la loi n°66-879 du 29 novembre 1966

(12) CA Rouen, 20 nov. 2019, n° 19/01667 : « chaque associé exerçant la profession de médecin au sein de la société répond sur l’ensemble de son patrimoine des actes professionnels qu’il accomplit, la société étant solidairement responsable avec lui ». 

(13) Code de la Santé Publique, article L. 1142-2, al. 1er

(14) Code de la Santé Publique, article R.4113-3, al. 1er

(15) Code de la Santé Publique, article R. 4113-11

(16) Code de la Santé Publique, article 4. 4113-12

La participation, directe ou indirecte, est interdite à tout autre professionnel libéral de santé (pharmacien d’officine, profession paramédicale, vétérinaire, directeur ou de directeur adjoint de laboratoire d’analyses de biologie médicale), tout fournisseur, distributeur ou fabricant de matériel médical et de produits pharmaceutiques et plus généralement de prestataires de service dans la médecine, organismes d’assurance, prévoyance et protection sociale.

On voit donc clairement l’intérêt de constituer une société pour assurer une protection de son patrimoine personnel et de son patrimoine professionnel. Le choix de la forme sociale doit toutefois être étudié au cas par cas puisque la responsabilité aux dettes et le régime fiscal et social de l’associé diffèrent selon la forme sociale.

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